« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »

Hervé Brusini - Crédit photo Benjamin Géminel / Hans Lucas

Ne cherchez pas le formulaire à remplir pour postuler.
Pas de case à cocher pour les critères d’attribution du Prix Albert Londres. À part des conditions d’âge limite, d’expression francophone et de publication dans l’année, le document de référence n’existe pas. C’est ainsi, le reportage ne fait pas bon ménage avec la rigidité administrative. Il aurait même tendance à la fuir. À l’instar de celui qui inspire ce Prix. D’ailleurs, faire référence à Albert Londres pour définir le Prix Albert Londres, quoi de plus logique après tout. Ce fut en tout cas, l’esprit qui a présidé à la création de cette récompense, rendre hommage au cher disparu et encourager la vocation d’un jeune prometteur.

Le 16 mai 1933, dans un restaurant de la rue Lepic à Paris, Florise Londres, fille d’Albert et ses compagnons, tous journalistes de terrain (une femme, Andrée Viollis formidable reporteure admirée par Londres, a très vite rejoint ce jury) ont décerné le premier prix de presse écrite. Le premier lauréat s’appelait Émile Condroyer. Et déjà, une formule s’imposa, jusqu’à devenir un rituel au fil des décennies : « …les débats furent intenses et vifs… ». Des débats qui tous renvoient aux vertus du grand reporter. Ainsi, Londres lui-même, en 1929, suggère une condition basique, anecdote à l’appui. « Un beau soir » un ami lui annonce que l’on tue des Juifs à Tel-Aviv. Réaction du reporter : « Je bondis hors de mon encrier… Je pris mon chapeau, le train, puis le bateau… ». Toujours curieux, sans cesse sur le qui-vive, ce serait donc la qualité première, le postulat de départ (sans jeu de mots) du journaliste.
À deux pas ou si loin. Peu importe. L’essentiel est d’aller y voir. Et Londres d’évoquer « ces bons bourgeois » qui lui disent « quelle chance vous avez de voyager ainsi ! ».
En réalité, rétorque-t-il, « nous arrivons dans des localités où les gens paisibles tenant à leur sécurité s’en sauvent en toute hâte ».

La prise de risque, le courage sont donc au nombre des qualités professionnelles pourrait-on dire, sans pour autant en faire l’étendard d’un casse-cou magnifié, avide de gloriole. Et puis, il y a le style, l’écriture, la langue. Écoutez, il n’y a pas d’autre mot, ce texte tiré de Au Bagne : « Le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie… c’est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice… (Les forçats). Elle les broie, c’est tout. Et les morceaux vont où ils peuvent. » Ce souci du juste vocable n’est pas gratuit, il veut emporter la conviction.

À travers la description, la relation des faits, la narration, l’engagement du reporter/enquêteur indépendant vient donner tout son sens à la fonction du journaliste. La célèbre formule signée Albert Londres, de « porter la plume dans la plaie » suppose opiniâtreté et rigueur.
Et comme pour la presse écrite, il en va pour l’audiovisuel depuis 1985 sous l’impulsion d’Henri de Turenne, et le livre depuis 2017 grâce à Annick Cojean. La sincérité résume peut-être cette exigence presque écrasante, pour une chose si fragile et pourtant si essentielle, le reportage.